De l’importance de l’anonymat

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Stephanie A. Whited. Photo reproduite avec autorisation.

Sur Internet, lorsque des atrocités se produisent, l’anonymat est souvent montré du doigt.

Nous pourrions logiquement imaginer que la possibilité d’identifier chaque internaute permettrait de prévenir la criminalité. Dans toutes les parties du monde, des gouvernements soutiennent l’interdiction du chiffrement ou la suppression des sites anonymes. En réalité, l’anonymat protège souvent les victimes de crimes, qu’il s’agisse d’atteintes aux droits de l’homme, à la sécurité bancaire, à la défense militaire ou à la sécurité personnelle, par exemple le harcèlement et les violences familiales.

La surveillance constante, facilitée par la technologie, exercée par les entreprises ou les gouvernements, nuit à la société et aux libertés civiles. Notre capacité à communiquer, à travailler et à apprendre sur Internet, loin du regard des autres, rend de belles choses possibles.

Ne pas laisser de traces sur Internet demande des efforts. Pour ce faire, Tor constitue l’un des plus importants outils en matière d’anonymat et de contournement de la censure. Selon les estimations, il est utilisé dans le monde entier par 2 millions de personnes quotidiennement pour cacher l’origine et la destination du trafic de leurs données lorsqu’elles surfent sur le Web et communiquent.

Face aux préoccupations relatives aux activités terroristes et criminelles en ligne, Tor est souvent vilipendé. Parmi les personnes qui défendent l’anonymat au quotidien, nous pouvons citer Stephanie Ann Whited, directrice de la communication du Projet Tor.

Qu’est-ce qui apporte le plus de sens à votre travail ?

Les libertés numériques régressent dans le monde entier. Contribuer à une force au service du bien qui offre un accès privé au Web ouvert revêt une immense importance pour moi. Des millions de personnes accordent leur confiance au navigateur Tor et au « routage en oignon » (services cachés, NdT) pour communiquer de façon privée et sécurisée au quotidien.

Certains veulent simplement, à juste titre, limiter la quantité de données que les grandes entreprises et les annonceurs peuvent recueillir à leur sujet. Pour d’autres, Tor représente un outil essentiel contre l’oppression gouvernementale.

Lors des manifestations au Soudan cette année, l’utilisation du navigateur Tor a explosé quand les médias sociaux ont été bloqués. Il connaît aussi une grande popularité en Ouganda, spécialement depuis que ce pays a introduit une taxe sur les médias sociaux.

Quelles questions des journalistes vous frustrent ?

Celles qui reposent sur le malentendu que Tor représente le « Dark Web ».

Les services en .onion de Tor permettent de publier et de partager des informations en ligne avec un haut niveau de confidentialité et de sécurité sans que les moteurs de recherche les indexent. Impossible de les consulter dans n’importe quel navigateur. Faire l’amalgame entre cet outil et le « dark web » et imaginer que l’ensemble des publications anonymes s’accompagnent d’un danger cause du tort à une technologie sous-estimée qui sauve des vies.

Par exemple, grâce aux services onion, les femmes ont la possibilité de partager et d’accéder aux ressources de santé féminine dans des pays où celles-ci sont interdites. Cela permet aussi aux militants de s’organiser en s’inquiétant moins d’être surveillés, dans des environnements où leurs activités peuvent représenter des enjeux de vie ou de mort. Ces outils constituent aussi un moyen de communiquer en toute sécurité pour les lanceurs d’alerte qui dénoncent des affaires de corruption. Les services onion offrent la possibilité de créer une manière plus sécurisée d’accéder à des sites populaires tels que le New York Times, Facebook ou ProPublica. Tous possèdent des adresses en .onion.

Quand vous entendez parler de crimes graves commis sur des sites onion (sur le Dark Net), doutez-vous du sens de votre travail ?

Il est parfois contrariant d’apprendre que Tor a été utilisé à des fins criminelles, mais cela ne me fait pas douter du logiciel ou des bienfaits que seuls des outils de protection de l’anonymat comme Tor apportent. En réalité, des activités criminelles existent sur toutes sortes de sites, qu’ils aient été configurés à l’aide de services onion ou non. Se débarrasser de Tor, ou même d’Internet, ne ferait pas disparaître le crime.

La couverture médiatique de Tor a-t-elle changé au fil du temps ?

Oui, je pense que cela provient de l’amélioration de la cohérence et de la fréquence de nos communications ainsi que de la nouvelle convivialité de Tor. De plus, un nombre croissant d’internautes commencent à réaliser dans quelle mesure les géants de la technologie exploitent leurs activités quotidiennes en ligne. Même si aujourd’hui d’autres navigateurs offrent davantage de protections en matière de confidentialité qu’auparavant, aucun n’égale l’ensemble des atouts de Tor. La presse commence à le souligner de plus en plus souvent sans réserve.

Quelles actualités intéressantes marquent l’univers Tor ?

Tor est plus convivial et plus rapide que jamais. Un réseau décentralisé de plus de 7 000 serveurs gérés par des bénévoles dans le monde entier constitue l’épine dorsale du logiciel, et nous venons de dépasser les 40 Gbit/s de bande passante totale grâce à notre communauté d’opérateurs-relais bénévoles.

Grâce à la sortie de notre premier navigateur mobile officiel, Tor Browser pour Android, en 2018, nous sommes en mesure d’atteindre davantage de personnes dans les parties du monde où Tor s’avère le plus utile.

 

Quand accordez-vous de l’importance à l’anonymat ?

  1. Anonymous

    L’argument de surveiller tous le monde afin de détecter les criminels est un « argument prétexte » pour s’introduire dans la vie de chacun.
    Or, la vie intime de chacun est sacrée!

  2. Talia F.

    Je pense comme Anonyme ! comment lever le doute ?
    Mais enfin !
    Quant je vois que Facebook nous oblige à indiquer notre vrai nom ! Çà c'est une indication pour se faire tracer par nos collègues de travail, voisins et famille !! Où est le respect de notre vie privée ?
    L’argument de surveiller tous le monde afin de détecter les criminels est un « argument prétexte » pour s’introduire dans la vie de chacun.
    Les criminels, tous ceux qui veulent nuire à quiconque !!
    Les criminels sur le web sont très capables de déjouer les systèmes existants sachant que tout sera fait pour les identifier.
    Votre opinion m’intéresse fortement . Merci

  3. Hélène

    Bonjour, Comme beaucoup de gens, je suis souvent choquée par l'utilisation des outils du net pour perpétrer des actes criminels les plus graves. Cependant, mais je trouve que c'est difficile à faire admettre lorsque je m'y essaye, je suis d'accord avec Stéphanie : le crime n'a pas attendu Tor ou l'anonymat du web pour exister. Mais c'est vrai que vu de mon propre point de vue de française, avec un gouvernement encore démocratique, j'ai tendance à penser que je n'ai rien à cacher. Mais d'une part les soudanais doivent pouvoir en toute sécurité militer et se rassembler, d'autre part, qui me dit que notre démocratie survivra ?

  4. Anonymous

    La possibilité de naviguer sur le web et prendre des sources d’informations autres que les officiels ainsi que tout simplement ne pas se sentir surveillé et devenir une cible pour les marchands de toutes sortes, et enfin plus généralement de communiquer avec qui on souhaite d’ou, on souhaite , paraît légitime surtout si on n’a rien à cacher.
    L’argument de surveiller tous le monde afin de détecter les criminels est un « argument prétexte » pour s’introduire dans la vie de chacun.
    Les criminels sur le web sont très capables de déjouer les systèmes existants sachant que tout sera fait pour les identifier.
    Donc merci tor et mille encouragements pour vos efforts .
    sauf si vous êtes au service d’un système de surveillance très habile qui utiliserait la confiance qu’on met en vous pour surveiller à votre tour les internautes crédules ...comment savoir, le doute est permit. Quelles preuves du contraires pourriez-vous nous apporter pour lever toute suspicion?