Les taxes sur les médias sociaux en Afrique

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Photo George Pagan III sur Unsplash.

Combien paieriez-vous à votre gouvernement pour une journée d’utilisation de la messagerie WhatsApp ?

Les gouvernements de trois pays d’Afrique, l’Ouganda, la Zambie et le Bénin ont annoncé ou imposé de nouvelles taxes pour les mobinautes en 2018, laissant des millions d’Africains aux prises avec des difficultés pour couvrir leurs coûts de connexion à Internet. Au Bénin, cependant, les manifestations ont abouti à l’abandon rapide de ladite taxe.

Les gouvernements ont imposé ces prélèvements pour augmenter les recettes publiques et font également valoir qu’ils protègent ainsi le secteur local des télécommunications de la concurrence des entreprises Internet étrangères. Mais, dans la pratique, la conséquence (intentionnelle ou non) a été de retirer la possibilité de se connecter à davantage de personnes, d’accroître les obstacles à l’accès Internet et de limiter considérablement la liberté d’expression et l’accès à l’information, ainsi que l’accès aux biens et services qui se trouvent désormais en ligne.

L’Ouganda a imposé le premier de ces régimes fiscaux en juillet 2018, obligeant les résidents à payer 200 shillings (0,053 USD) par jour pour utiliser l’une des 58 applications des services de communication mobile de tiers. Cette liste comprend notamment les réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, Instagram et LinkedIn, des applications de messagerie instantanée et de communication vocale comme WhatsApp, Snapchat, Skype et des sites de rencontres comme Tinder et Grindr.

En Ouganda, la loi a également imposé une taxe de 1 % sur les transactions financières mobiles, le moyen de paiement désormais requis pour recharger les cartes SIM. Alors que le citoyen ougandais moyen dépense déjà 15 % de son revenu mensuel pour 1 Go de données à large bande, la nouvelle taxe place les services Internet populaires hors de portée de la majorité de la population.

Le problème va au-delà des discussions entre amis. Comme tout le monde le sait dans la région, en Afrique, WhatsApp en particulier est devenue une plateforme essentielle pour la communication et le partage d’informations. Des millions de personnes comptent sur les groupes WhatsApp pour faire des affaires, communiquer sur les questions locales, lire les nouvelles et demander de l’aide en cas d’urgence.

Pour de nombreux Ougandais, les médias sociaux comme Facebook et WhatsApp représentent une passerelle vers le reste de l’Internet. Dans un article d’opinion pour Global Voices, la blogueuse ougandaise Pru Nyamishana écrivait :

« Cette taxe ne tient pas compte d’un manque critique d’éducation numérique, en particulier parmi la population pauvre. Lorsque j’ai interviewé des femmes à Bwaise, un bidonville de Kampala, j’ai appris que, pour elles, WhatsApp et Facebook sont Internet. Il s’agit des seules plateformes qu’elles savent utiliser. Aussi, avec la nouvelle taxe, elles perdront complètement leur accès à Internet. »

Après six mois d’application de la taxe, la Commission ougandaise des communications a indiqué que le taux national d’utilisation d’Internet avait chuté de 47,4 % à seulement 35 %.

Dans la foulée de l’initiative ougandaise, le Bénin a instauré une taxe similaire en septembre 2018, ciblant les services de messagerie mobile et d’appel VoIP (comme Skype). Celle-ci a fait augmenter le coût du gigaoctet de données de près de 250 %, mais a été supprimée après quelques jours de protestations publiques.

Puis, en août, le gouvernement zambien a annoncé à son tour une taxe journalière forfaitaire de 30 ngwees (0,03 USD) sur les appels VoIP. Malgré le rejet de la société civile et de la Chambre de commerce et d’industrie de Zambie, les autorités sont allées de l’avant avec cette taxe, faisant valoir qu’elle augmenterait les recettes publiques, soutiendrait les entreprises locales de télécommunications et couvrirait le coût des investissements dans les infrastructures.

« Les emplois dans les centres d’appels, les vendeurs de crédits de conversation, les techniciens d’appels traditionnels diminueront considérablement si davantage de Zambiens passent par Internet et créent des emplois aux États-Unis et ailleurs », a tweeté Dora Siliya, ministre zambienne des services d’information et de radiodiffusion.

Bien que ce raisonnement n’ait convaincu que peu d’internautes, l’argument de la ministre répond aux frustrations de longue date sur le continent au sujet des services par contournement, détenus par des entreprises étrangères qui ont conquis les marchés de la messagerie et des appels vocaux et modifié les règles du jeu pour les opérateurs nationaux de télécommunications.

Les pays d’Afrique ne sont pas les seuls à s’indigner du fait que les modèles économiques axés sur les données et la publicité des géants du secteur technologique apportent peu de retombées bénéfiques immédiates aux économies locales, tout en enrichissant des sociétés technologiques aux États-Unis. Google et Facebook étendent toujours plus leurs activités aux infrastructures, un développement qui affectera encore davantage l’équilibre du pouvoir avec les sociétés de télécommunications. Malgré tout, il est avéré que les populaires services par contournement ont contribué à alimenter l’adoption de l’Internet mobile et permis aux entreprises locales de fonctionner plus efficacement. Cependant, ils créent aussi des dépendances en mesure d’avoir une incidence négative sur l’économie numérique locale, en particulier lorsque les priorités techniques ou commerciales changent en fonction de décisions prises loin de là.

Dans une région du monde où les gouvernements sont connus pour restreindre la liberté d’expression par la censure, les coupures d’Internet, la surveillance et les menaces juridiques, la société civile et les médias indépendants considèrent également les taxes sur ces services comme une attaque envers la liberté d’expression. Dans deux autres cas, cela est clairement mis en avant.

En avril 2018, la Tanzanie a introduit une « taxe sur les blogs », parallèlement à de nouvelles restrictions sur le contenu en ligne, dans l’intention évidente de limiter l’expression en ligne. Elle exige que les blogueurs tanzaniens, les exploitants de chaînes YouTube et les propriétaires de sites web indépendants s’enregistrent et paient environ 900 USD par année pour publier du contenu en ligne.

En août, le gouvernement mozambicain a décrété que les journalistes ainsi que les médias traditionnels ou qui utilisent des plateformes numériques doivent désormais être enregistrés et payer entre 500 et 3300 USD pour une accréditation à renouveler tous les cinq ans.

De telles taxes propagent l’idée erronée que l’accès à Internet et l’utilisation des médias sociaux constituent un luxe. Mais leurs effets, comme la baisse de l’utilisation d’Internet en Ouganda, proposent des études de cas qui prouvent l’importance de mettre en place des protections pour la neutralité du Net. Comme l’ont souligné les citoyens dans leurs contestations, et comme l’ont démontré les chercheurs, l’accès à un Internet véritablement ouvert représente une opportunité pour les économies locales, l’éducation, la santé publique et la vie en général.

 

Les taxes sur les médias sociaux ont-elles un sens à vos yeux ?

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